Mission et l’Eglise Orthodoxe. Volos, IOTA 2023
L’académie de théologie orthodoxe de Vólos est située en Grèce à mi-chemin entre Athènes et Thessalonique. Ce centre de la réflexion chrétienne a été choisi par les membres l’Association Théologique Orthodoxe Internationale (IOTA) comme lieu d’organisation de la méga-conférence « La Misson et l’Église orthodoxe » qui s’est déroulée, avec succès, du 11 au 15 janvier 2023. Ainsi, pour la Grèce, l’académie de Vólos est devenue un lieu symbolique qui a joué un rôle de trait d’union entre les deux grandes et puissantes écoles théologiques, celles d’Athènes et de Thessalonique, dont les professeurs ont participé à la conférence. Ensuite, du point de vue international, l’académie de Vólos s’est transformée en un lieu de rencontre pour les théologiens de différentes universités et institutions du monde entier, avec 430 personnes venues de 41 pays, qui se sont réunies épi to auto (ensemble dans le même lieu, connotation eucharistique) afin de partager leurs idées, leurs projets et leur expérience théologique.
De nombreux domaines de la théologie orthodoxe ont été couverts par le programme de IOTA 2023. Chaque domaine était subdivisé en différentes sections avec des conférences sous la forme de tables rondes où de nombreux thèmes, souvent épineux et problématiques, ont été présentés et discutés. Etant donné que le programme compte quatre-vingts pages, il est difficile de nommer tous les sujets abordés. Cependant, pour donner quelques exemples, on peut mentionner les disciplines suivantes : études bibliques et théologiques, histoire de l’Église et du christianisme, philosophie et pensée religieuse, anthropologie et bioéthique, théologie politique, sociologie, dialogue œcuménique, musique, art chrétien etc. Ainsi, chacun des participants pouvait choisir les conférences à suivre en fonction de sa spécialité ou de ses intérêts.
Il serait difficile de décrire le déroulement de chaque session dans le format de cet article, d’autant plus que la plupart de conférences seront bientôt éditée et accessible aux lecteurs. En revanche, il n’est pas inutile de partager quelques impressions au sujet de l’ambiance de l’évènement et de l’esprit de l’assemblée à Vólos.
Tous d’abord, il faut témoigner de l’atmosphère extrêmement fraternelle qui régnait lors de la conférence, créant une véritable unité entre les participants. Parmi eux il y avait des évêques, prêtres et diacres de différentes juridictions, des théologiens de renommée mondiale, des fidèles de différentes églises orthodoxes locales ainsi que des représentants des autres églises chrétiennes qui s’intéressaient à la théologie et à la tradition orthodoxes. Il paraissait qu’en participant à cette conférence, toutes ces personnes s’étaient dépouillées de tous leurs titres et positions officielles qu’elles soient ecclésiastiques ou académiques. Cet esprit de fraternité et d’ouverture était surtout évident lors du temps que les participants passaient ensemble à l’occasion des pause-café, des repas partagés ou des promenades durant le temps libre.
Cette conférence pourrait être présentée comme un exemple de la façon de construire la communication au sein de l’Église contemporaine. Elle témoigne également que l’amour envers la vraie théologie garantit et génère le respect mutuel, en purifiant la coexistence avec nos frères et collègues de tout orgueil clérical, de relations artificielles et purement protocolaires.
On peut comparer IOTA 2023 à un laboratoire de la communication théologique qui a réuni différentes églises orthodoxes locales et des écoles théologiques afin de préparer puis faire naître entre eux un échange théologique. Il serait utile d’ajouter et de souligner que ce dialogue a été commencé dans l’église par la prière des participants et la bénédiction de l’évêque local Monseigneur Ignace de Demetria. De même, c’est par l’action de grâce, la concélébration et la communion eucharistique au même calice que s’est achevée la rencontre. Il ne fait aucun doute que l’organisation régulière de tels dialogues théologiques ne peut être que bénéfique pour nos églises locales. La participation active de nos églises aux réflexions théologiques internationales, la valorisation des rencontres inter-juridictionnelles et l’encouragement au travail théologique dans l’esprit de IOTA sont les meilleurs moyens pour apaiser les nombreux problèmes et désaccords qui se trouvent au centre des divisions tant ecclésiales que politiques. Bien évidemment, l’aspect international et inter-juridictionnel de IOTA, sa fidélité au principe eucharisto-centrique des réunions théologiques présente la possibilité non seulement de manifester l’unité de l’Église orthodoxe mais aussi de la vivre.
Sans idéaliser cette association qui est relativement jeune, il est évident que sa dynamique convient parfaitement aux défis de notre société et correspond à l’image de l’Église contemporaine. Lorsque nous disons « l’Église contemporaine » nous présupposons tout d’abord une Église qui est au fait des problèmes et de la problématique de notre société, des réels besoins de son peuple, une Église qui dialogue et discute même si le sujet semble être dans une impasse. Avec toute son ouverture et sa mission pour la vie du monde, l’Église contemporaine reste indissolublement liée à sa tradition théologique et spirituelle, une Église dont l’expérience se transmet grâce aux saints Pères et dont la vitalité se trouve dans la source inépuisable de l’Eucharistie. L’Église qui enseigne et protège la vérité du Christ et, à travers le Christ, offre à ses membres la véritable liberté qui se réalise dans la responsabilité par rapport à la vie et la dignité d’autrui. C’est pourquoi, dans son discours inaugural, le métropolite de Corée Ambroise (Zographos) a bien parlé du problème de la rupture des relations entre certaines de nos églises. Selon lui, ce problème se trouve dans les tendances éthnophilétiques de nos communautés qui provoquent des divisions et déchirent l’unité de l’Église orthodoxe. Monseigneur Ambroise a évoqué la nécessité de cultiver l’esprit de la catholicité ecclésiale qui permettra à nos communautés de vivre l’unité de l’Église conformément à sa nature ontologique.
En parlant de l’éthnophilétisme, il n’a pas pu laisser de côté la tragédie du peuple ukrainien souffrant par l’invasion barbare russe, ni le comportement de l’Église de Russie dont le patriarche soutient ouvertement la guerre et provoque des problèmes sur les territoires des autres Églises locales, notamment en Afrique et en Asie. Cependant, concernant ces problèmes, monseigneur Ambroise a souligné à plusieurs reprises qu’il était important non seulement de voir les anomalies chez ceux qui étaient loin, mais également celles de nos propres communautés. Une telle approche autocritique permet de repérer et de corriger l’anomalie au cas où elle se manifestait dans l’Église.
La situation paradoxale, voire contraire à l’esprit de l’Évangile, dans laquelle se trouve l’Église russe découle d’un long processus de développement des idées éthnophilétiques du « monde russe ». A l’étude critique de cette doctrine seront consacrées plusieurs sessions de la conférence. Quant à monseigneur Ambroise, il a bien exprimé son message de solidarité au peuple ukrainien, puis son désaccord avec la position de l’Église de Russie en mettant en lumière l’importance du principe de l’unité provenant du principe de catholicité de l’Église. Le métropolite de Corée n’a pas manqué de courage pour parler ouvertement de plusieurs sujets épineux et actuels que souvent les assemblées officielles préfèrent ne pas mettre en lumière afin de garder une sorte de neutralité et d’éviter de possibles désaccords. A la fin de son discours, les participants debout ont exprimé leur « amen » par de longs applaudissements. Le travail de la conférence s’est déroulé dans l’atmosphère de ce message inaugural de Monseigneur Ambroise appuyé par plusieurs exemples de son expérience missionnaire et pastorale en Asie.
On peut ajouter que sur invitation du directeur de l’académie théologique de Vólos, le professeur Pantelis Kalaitzidis et avec la bénédiction de notre métropolite Dimitrios, notre Vicariat Sainte-Marie-de-Paris-et-Saint-Alexis-d’Ugine a été officiellement représenté lors de la conférence par quatre de ses membres, notamment par le vicaire général, l’archiprêtre Alexis Struve accompagné par son épouse et collaboratrice Anne, ainsi que par le docteur Georges El Hage et l’archimandrite Alexis Milyutin. Cette participation du vicariat à la conférence était une occasion non seulement d’exprimer notre soutien à l’équipe des théologiens de IOTA, mais aussi de rencontrer beaucoup de nos amis ainsi que de faire connaissance avec de nombreux théologiens dans une perspective de réaliser ensemble différents projets et conférences que la Métropole et le Vicariat organisent régulièrement. Parmi ces théologiens on peut citer monseigneur Grégoire (Papatomas) de Peristeri (professeur de l’université d’Athènes et évêque de l’Église de Grèce), monseigneur Maxime de San Francisco (du séminaire Holy Cross de Brookline évêque de l’Église de Serbie), le père Cyrille Hovorun (université de Stockholm), sœur Vassa Larin (Autriche), le professeur Paul Ladouceur (Canada), le professeur Stavros Yangazoglou (université d’Athènes) et beaucoup d’autres. Il était intéressant de découvrir que beaucoup de participants de la conférence connaissaient et suivaient la vie du Vicariat, et nous exprimaient leur amitié fraternelle. De notre côté la participation à la conférence de IOTA 2023 nous a offert l’opportunité de présenter le Vicariat et sa mission à nos nouvelles connaissances et à tous ceux qui s’intéressent à la vie de l’Église orthodoxe en France.
La dynamique de cette conférence, le contact avec l’Académie de Vólos, nos nouveaux amis, tout cela ne peut que nous encourager et nous inspirer dans la poursuite de notre humble service pour l’Église orthodoxe en France. Nous pouvons constater combien bénéfique est notre collaboration avec l’Académie orthodoxe de Crète et particulièrement avec son directeur le professeur Kostas Zormpas, avec qui le Vicariat continue à proposer un cycle de conférences au sujet des documents du grand et saint concile de Crète. Espérons, ou plutôt soyons sûrs qu’un tel élargissement du cercle de nos amis théologiens permettra de mieux répondre aux besoins de nos communautés en France en ce qui concerne l’approfondissement de la tradition théologique et spirituelle de l’Église orthodoxe.
Vólos est une ville mythique. Selon la légende, le port de Vólos est le lieu du départ de Jason et de ses Argonautes qui se sont engagés à partir à Colchide (la région de Poti en Géorgie) et d’en rapporter la Toison d’or. C’est aussi un détail très symbolique car la prochaine réunion de IOTA 2027 se passera justement en Géorgie. Cette fois-ci ce sera non pas la Toison d’or, mais la Toison théologique qui, après Vólos, sera apportée en Géorgie. Alors que la Toison d’or reste un mythe, la théologie chrétienne et orthodoxe est réelle et provient du Dieu vivant et éternel.
archimandrite Alexis Milyutin